Personnifier et raconter Louise Gimbert

par Olivier Paré

Students of the Working Class Public History class reflected on their experiences of representing oral histories of Pointe-Saint-Charles which are part of the archive at the Centre for Oral History and Digital Storytelling.

Oral history meets Theatre

Raconter la vie de quelqu’un d’autre est une entreprise compliquée. Dans le cadre de l’exercice de speed-dating, les différentes facettes de cette complexité me sont apparues (et se sont superposées!) pendant toutes les étapes de l’activité. Respecter le témoignage de Louise Gimbert et tenter de réaffirmer avec authenticité sa vision de Pointe-Saint-Charles à sa manière a été une tâche plus ardue que ce à quoi je m’attendais au début du processus.

L’écoute de l’entrevue et la préparation

À l’écoute de l’entrevue, mon premier réflexe a été de tenter d’organiser les propos de Mme Gimbert, de sélectionner les évènements ou moments clés de sa vie, de noter les passages où elle prenait clairement position sur certains enjeux ; bref, j’ai traité ses mots d’une façon très académique et méthodique. Puisque je n’avais que 90 secondes, je souhaitais avant tout présenter – et mémoriser – un discours qui soit à la fois vaste, concis et clair : je me disais que, lors du speed-dating, il serait ainsi plus facile de faire comprendre mon personnage à mon interlocuteur. Après les premières 15 minutes, toutefois, l’écoute attentive et objective que je m’étais imaginée devenait plus difficile, car j’étais pour la plupart du temps en désaccord avec les opinions de Mme Gimbert, et cela m’empêchait de me concentrer sur d’autres éléments de son discours. Je devais, à chacune de ses interventions, m’efforcer de ne pas la juger, l’objectif de l’exercice n’étant pas de porter une critique sur la vision de Mme Gimbert, mais bien d’exposer son jugement à d’autres. Bref, j’écoutais désormais l’entrevue avec une certaine méfiance plutôt qu’avec un état d’esprit dénué de toute prise de position. La préparation pour le speed-dating a donc été compliquée par mon désir d’à la fois produire un récit authentique et complet, mais aussi de ne pas laisser mes propres opinions prendre le dessus sur la tâche que je m’étais donnée.

La performance

L’acte de personnifier Mme Gimbert devant une autre personne a révélé plusieurs autres facettes à l’exercice. Par exemple, je me suis tout de suite aperçu qu’il était difficile de faire saisir l’essence de la personne interviewée dans un aussi court laps de temps : Louise Gimbert, comme tout le monde, est une personne complexe et nuancée. J’avais l’impression que malgré ma sélection de faits, d’évènements et d’opinions, que je lançais très rapidement pour espérer tout faire entrer dans 90 secondes, mon discours ne parvenait pas à rendre justice au récit de la vraie Louise. Même, j’ai remarqué que mes interlocuteurs jugeaient les opinions de Louise de la même façon que je les avais moi-même jugées plus tôt, si bien que je me suis demandé si, à travers mon assemblage d’informations, j’avais inconsciemment altéré la véritable histoire de Mme Gimbert. Étais-je en train d’intérioriser sa vie et de la réinterpréter à travers ma propre vision des choses? Par surcroît, la personne qui était devant moi était-elle réellement en train de réagir à mes propos, ou bien était-ce son personnage qui réagissait? Tout cela rendait l’échange chargé de plusieurs niveaux de signification, à travers lesquels il était difficile de naviguer.

Il faut dire que Mme Gimbert, qui est courtière immobilière et qui a travaillé pour la rénovation et la vente des Lofts Redpath (un projet domiciliaire luxueux et haut de gamme), peut rapidement devenir, dans le contexte de ce cours, un symbole de la gentrification et des enjeux qu’elle engendre. Je me suis donc efforcé, durant la deuxième moitié de l’exercice, à briser cette image. Je tenais absolument à ce que l’autre ne quitte pas avec une mauvaise opinion de mon personnage. C’était comme si j’avais peur de ternir sa réputation! Je me suis alors surpris à ne plus du tout raconter les évènements marquants, mais à parler de l’amour de Louise pour la nature ou pour la vue du Canal Lachine, de sa grande détermination, de sa fierté et de ses accomplissements… J’ai complètement laissé de côté sa vision du développement économique de Pointe-Saint-Charles, ce qui a produit une version tout aussi incomplète du véritable discours. Le public devenait alors un acteur déterminant, en ce sens qu’il modelait lui aussi la façon dont j’articulais le récit de vie de Mme Gimbert.

Conclusion

Cet exercice a révélé pour moi les nombreux niveaux de subjectivité qui s’entrecroisent lors de la performance d’une histoire orale. Il y a d’abord eu cette distance entre moi et les propos de la vraie Louise Gimbert, que j’ai tenté d’apprivoiser et de comprendre. Puis, reformuler ce récit de vie devant une autre personne remettait en question toute la préparation que j’avais effectuée. Ma méthode aurait sûrement mieux fonctionné si j’avais eu à produire une histoire traditionnelle, basée sur des documents écrits. Cette fois-ci, cependant, l’acte de personifier Mme Gimbert (qui est toujours en vie) a amené des dimensions éthiques et émotionnelles avec lesquelles je n’avais pas l’habitude de travailler.

par Olivier Paré